Unité et dualité. Matière et esprit. Mystère de la vie et lois de la nature. L’étude de la cosmologie est une porte vers l'exploration de la conscience.
Révélant les différentes manières de percevoir le monde, la cosmologie est l’étude des phénomènes de l’Univers. Plus inclusive que le terme religion ou spiritualité, elle parle aussi de croyance et de magie. Un seul monde. Différentes manières d’en faire l’expérience.
Produisant une frontière invisible entre soi et l’autre, nos sociétés occidentales naturalistes sous-tendent une représentation du monde reposant sur une dichotomie entre la nature fondamentalement universelle (le monde physique), et la culture de chaque espèce et civilisation.
Avec la compréhension et la reconnaissance de l’ontologie animiste, propre aux anciennes civilisations et aux peuples autochtones du monde, une nouvelle voie est possible.
Le naturalisme : une dichotomie moderne
En Occident, nous possédons actuellement une cosmologie naturaliste. Notre point de référence et notre façon de percevoir le monde se base sur la nature (le monde physique). Ce qui dépasse notre compréhension de la nature est considéré comme surnaturel.
Nous possédons trois ordres de réalité. La nature ; le monde physique. La culture ; ce qui est construit par l’être humain. Le surnaturel ; ce qui est au-delà des lois de la nature. Dans une cosmologie naturaliste, la sphère surnaturelle n’est pas un sujet d’étude ou d’expérimentation, car cela relève du plus grand que nature.
Le naturalisme sous-tend que l’humain est différent des animaux et du reste du vivant. Ce qui le diffère est la perception de son intériorité. Lui seul possède une intériorité et une intentionnalité propre au genre humain.
L’animisme : la première manière de voir le monde
Animisme, qui provient du latin « anima » signifiant « âme » est la croyance qu’une âme, une force vitale animerait les êtres vivants, mais aussi les animaux et certains non-vivants : le vent, les pierres, les objets, les forces protectrices.
Autrement dit, l’animisme sous-tend qu’un souffle de vie et que des caractéristiques humaines pourrait animer certains animaux ou élément de la nature.
L’animisme fut la manière première de voir le monde. Les anciennes civilisations du monde étaient animistes, et l’animisme est d’ailleurs à l’origine des religions.
L’animisme de Tylor
L’animisme fut développé par Edward B. Tylor en 1874. Dans son livre Primitive Culture, il décrit l’animisme comme la croyance selon laquelle la nature serait régie par des esprits analogues à l’esprit humain. Selon Tylor, l’animisme serait la forme primitive de toutes les religions et toujours selon lui, la religion serait définie par la croyance en l’existence des êtres spirituels.
L’homme premier réalise l’existence d’un principe différent de son corps : l’âme, par suite de différentes expériences : le sommeil, la maladie, l’extase, la transe, les expériences personnelles, les rêves, les visions. Dans cet espace liminal, l’âme s’éloigne temporairement du corps et vaguerait à sa propre expérience : le domaine du rêve. Lorsque l’âme se séparerait définitivement du corps, la mort l’emporterait. L’extase, la transe et la maladie seraient des expériences où l’âme s’éloignerait temporairement du corps pour naviguer les hautes sphères.
Par analogie, la compréhension de l’âme humaine aurait entraîné la compréhension de l’âme des animaux, des plantes, et des objets inanimés. Avec cette compréhension du monde, il n’y a pas de réelle différence entre l’homme et les êtres animés ou inanimés qui l’entourent. De plus, on reconnaîtrait l’existence d’esprits indépendants qui animeraient la nature, susceptibles d’être bienveillant ou encore malveillant.
Le travail de Tylor est critiqué, puisqu’il parle de l’animisme d’un point de vue ethnocentrique, c’est à dire en comparaison à sa propre représentation du monde, le naturalisme. Il sous-entend que l’homme moderne possède « le savoir », alors que les anciennes civilisations possèdent « une simple croyance ».
L’animisme de Descola
Le concept de l’animisme fut élaboré de manière plus juste par l’anthropologue français Philippe Descola, en 1976. Après des recherches de terrain en Amazonie équatorienne auprès des Jivaros Achua, Descolas remet en question l’existence d’aspect fondamentale de notre représentation du monde naturaliste. Il souligne notamment l’invention de la nature et de la culture par le biais de l’identification sociale.
En quoi l’animisme de Descolas diffère-t-elle de celle de Tylor?
Comme l’explique Descolas, l’animisme se conçoit comme une manière de voir le monde, présente en tout temps dans l’esprit humain. Pour l’animisme de Descolas, la croyance n’est pas un dogme, mais une expérience vécue.
On ne se fait pas apprendre l’existence des esprits par une tierce personne. Ce n’est pas une question de croyance, ni de foi. Certains signes peuvent indiquer la présence d’une intentionnalité derrière la présence d’une plante, d’un animal, d’un objet, ou encore certaines circonstances peuvent permettre d’entrer en contact avec un esprit. C’est une expérience que l’on fait, qui nous permet de voir la réalité d’une certaine manière.
En somme, l’animisme est une manière de concevoir le monde qui dépasse l’idée d’une simple croyance.
Cohabiter harmonieusement avec le vivant
Alors que le naturalisme sous-tend que l’humain est différent des animaux et du reste du vivant, avec une intériorité et une intentionnalité qui lui est propre, l’animisme attribue à tous les êtres vivant l’intentionnalité « humaine ». Ainsi, chaque groupe habiterait le monde à sa façon, mais avec une intériorité semblable à l’humain.
Depuis une dizaine d’années, on assiste à un mouvement international de personnification des entités naturelles. Certaines rivières bénéficient désormais d’une personnalité juridique et seraient reconnues comme des entités vivantes et indivisible. La rivière Whanganui en Nouvelle-Zélande (territoire Maori), le Gange et le Yamuna en Inde, la rivière Magpie au Canada (territoire Inuit).
L’animisme pourrait occuper un rôle dans le processus de retour à la paix. En reconnaissant l’intériorité des animaux et de la nature, l’humain réapprendrait-il à cohabiter harmonieusement avec l’ensemble du vivant?
Les limites du naturalisme
D’un point de vue naturaliste, l’animisme est perçu comme une croyance ou une métaphore provenant de la sphère surnaturelle. Pour le naturaliste, la sphère surnaturelle n’est pas un sujet d’intérêt, car elle relève du plus grand que nature.
Cependant, d’un point de vue animiste, l’animisme n’est pas surnaturel, ni métaphorique. Il relève de l’expérience vécue.
Le naturalisme a ses limites, puisque les lois de la nature et de la culture sont insuffisantes pour comprendre le monde invisible (qualifié de surnaturel).
Inversement, l’animisme permettrait d’habiter le monde invisible, de connecter avec l’esprit de la forêt, de la rivière. En sommes, de répondre aux questions existentielles auxquels le naturalisme ne sait répondre.
Se connecter à l’Invisible
La compréhension de l’animisme nous permet de retrouver l’importance de se connecter au monde invisible afin d’habiter le monde avec d’avantage de profondeur.
Elle nous encourage à réfléchir à des questions qui méritent d’être explorées à nouveau.
Elle est un chemin pour affronter nos peurs, éliminer le doute, retrouver la foi, la confiance et la force d’habiter le monde. Un rappel que le monde est en vie, qu'une force invisible nous supporte.
Quelle que soit la manière dont « l’autre côté du voile » peut être interprété dans nos vies, nous avons la possibilité de le percevoir comme une source de force et de croissance, en nous-mêmes et dans le monde.
© NOIR KĀLA
Sources :
Nicolas Journet, L'animisme est-il une religion ? Entretien avec Philippe Descola, Sciences Humaines, 2007
Edward B. Tylor, Primitive Culture, 1986
Anne-Marie Colpron, REL 2226, Cosmologie et arts autochtones contemporain
Photographie : Bianca Des Jardins
