Étymologie et signification
Le terme sundarī (सुन्दरी) provient du sanskrit et signifie littéralement « belle ». Il s’agit du féminin de sundara, adjectif qui désigne ce qui est beau, joli ou charmant. Dans les textes anciens, sundarī est utilisé pour qualifier des figures féminines d’une grande beauté, qu’elles soient humaines ou divines. L’étymologie sanskrite suggère une notion de beauté intrinsèque, non seulement esthétique mais aussi positive ou bonne. En effet, dans de nombreuses langues indo-européennes, la beauté physique est associée à des qualités morales ou bénéfiques – une idée que l’on retrouve également en sanskrit où sundarī peut évoquer la grâce extérieure autant qu’une essence favorable ou bénigne.
Beauté philosophique et mystique dans la pensée hindoue
Dans la vision hindoue, la beauté (saundarya) revêt une portée philosophique profonde, allant bien au-delà de l’apparence. La beauté est perçue à la fois comme une qualité extérieure et une « splendeur spirituelle » intérieure qui élève l’âme. Les textes védiques célèbrent la beauté de la création – par exemple l’aurore (Ushas) ou la nature – comme un reflet de la vérité cosmique et de l’harmonie (ṛta). Dans la pensée mystique, notamment tantrique, tout ce qui est beau est considéré comme une manifestation du divin : le monde sensible, avec ses formes et ses couleurs enivrantes, est la danse de la déesse, et apprécier la beauté de la nature ou du corps peut devenir un chemin vers le sacré.
Les philosophes indiens ont souvent souligné l’unité du Bien, du Vrai et du Beau. Ainsi, la devise satyam–śivam–sundaram (« Vérité – Auspiciosité – Beauté ») exprime que la beauté authentique est indissociable de la réalité ultime et du bien spirituel. La beauté, dans la tradition hindoue, n’est pas qu’un ornement superficiel : elle traduit l’harmonie, l’ordre et la félicité (ānanda) qui émanent du divin.
Cette perspective fait que la beauté artistique, que ce soit dans la poésie, l’artisanat, la danse, est investie d’une dimension mystique – l’esthétique devient une voie de réalisation, comme l’illustre la théorie des rasa où le śṛṅgāra (le sentiment érotique et gracieux) est élevé au rang d’expérience esthético-spirituelle. En somme, la pensée hindoue (et particulièrement les courants tantriques) valorise une beauté intégrale, à la fois sensuelle et spirituelle, où le corps et l’âme vibrent à l’unisson.
Lalitā Tripurā Sundarī : archétype de la beauté divine
Lalitā Tripurā Sundarī – dont le nom signifie « la Belle des trois mondes » – est vénérée comme l’archétype spirituel de la beauté dans l’hindouisme. Divinité du Śāktisme (culte de la Déesse), elle incarne la Śakti primordiale, l’énergie féminine créatrice de l’univers. Au-delà de son apparence séduisante, Tripurā Sundarī symbolise la beauté cosmique : elle est dite régner sur les trois plans de l’existence (physique, astral, céleste) et manifester le pouvoir de création, de préservation et de dissolution du cosmos.
Son iconographie la montre assise sur un trône de lotus, tenant des attributs comme l’arc de sucre et les flèches de fleurs, suggérant que l’attraction (l’amour, la grâce) est au cœur du mécanisme de l’univers. Dans les textes tantriques tels que le Saundarya Lahari (« Vague de beauté » attribué à Śaṅkarācārya) ou le Lalitā Sahasranāma (les « Mille Noms » de Lalitā), on célèbre sa forme resplendissante comme l’image de la béatitude suprême.
Tripurā Sundarī représente ainsi la conviction que la beauté divine n’est pas illusoire, mais qu’elle est l’essence même de la conscience universelle. Elle enseigne aux fidèles que la véritable beauté réside dans l’union du charme extérieur et de la vérité intérieure – une beauté qui éveille l’âme bien plus qu’elle ne flatte l’œil.
Chez les Anciens
D’autres grandes civilisations ont également exprimé la beauté en reliant l’esthétique à des dimensions spirituelles ou morales.
La déesse Hathor, patronne de l’amour, de la joie et de la beauté, illustre la conception égyptienne du beau. Hathor était associée à la fécondité et au ciel, liant ainsi la grâce physique à l’ordre cosmique et à la prospérité de la vie. En égyptien, le mot nfr (nefer) signifiait à la fois « beau » et « bon », montrant que beauté et bonté étaient intimement liées dans la pensée pharaonique. Une statue bien proportionnée, un visage serein orné du sourire de Hathor, incarnaient une harmonie entre le terrestre et le divin.
Les Grecs vénéraient Aphrodite, déesse de la beauté et de l’amour, mais leur idéal allait au-delà des traits physiques. Le concept de kalos kagathos – littéralement « beau et bon » – exprimait l’idéal d’une beauté indissociable de la vertu morale. Le terme kalos en grec classique signifie « beau » tout en englobant les notions de « bon, noble », autant pour le corps que pour l’âme. Pour les philosophes platoniciens, la beauté sensible était le reflet d’une Beauté transcendante : contempler un beau corps ou un bel objet pouvait élever l’esprit vers l’idée pure du Beau en soi.
Dans les traditions ouest-africaines, la beauté est souvent perçue comme une bénédiction divine. Par exemple, la déesse Oshun, dans la religion Yoruba, est l’orisha des eaux douces, de la féminité et de la beauté. Elle incarne l’amour, la sensualité et l’abondance, et on la dépeint comme une entité d’une grande beauté physique et spirituelle. La grâce d’Oshun, associée à la pureté de l’eau et à l’éclat de l’or, montre que pour les Yoruba, la beauté est synonyme de douceur, de vitalité et de bienveillance de la part des divinités.
Chez de nombreux peuples autochtones des Amériques, la notion de beauté est liée à l’équilibre et à l’harmonie avec le monde naturel. Les Navajos (Diné) parlent du concept de Hózhó, souvent traduit par « beauté », qui évoque un état d’harmonie, de paix et de plénitude. Marcher dans la beauté signifie vivre en accord avec la nature et avec les valeurs de respect et de vérité. Hózhó englobe la beauté intérieure et extérieure, l’ordre du cosmos et le bien-être spirituel. Ainsi, un paysage au coucher du soleil, une personne remplie de sagesse ou un acte de compassion sont également « beaux » car ils maintiennent l’harmonie du Tout.
En somme
En somme, « Sundarī » incarne une vision de la beauté qui transcende les apparences – une beauté intégrale célébrée par la poésie sanskrite, la philosophie mystique et la dévotion à la Déesse. Elle rappelle que la beauté, lorsqu’elle est envisagée comme une valeur spirituelle et culturelle, peut être un langage universel reliant l’humain au divin, le visible à l’invisible, et l’éphémère à l’éternel.
Dans le même ordre d’idée, notre collection de bijoux Sundarī est une amalgame de pièces chargées d'histoire, inspirée des parures anciennes. Composée d'une succession de pendentifs finement ouvragés, elle évoque les talismans portés par les danseurs, les nomades et les divinités, mêlant tradition et mysticisme. Les motifs répétés, entre gouttes sacrées et reliques ornementales, rappellent les bijoux d'antan, forgés pour protéger et sublimer.
© NOIR KĀLA
Sources :
Easwaran, Eknath. The Upanishads. Nilgiri Press, 2007.
Sivananda, Swami. The Bhagavad Gita. Divine Life Society, 2004.
Saundarya Lahari (vers 8e-9e siècle), attribué à Śaṅkarācārya, commenté par divers érudits tantriques.
Photographie : Bianca Des Jardins